Extrait du livre : Pensées intimes et vagabondes
J’ai longtemps vécu persuadée de savoir qui j’étais. Femme intello, ingénieur, sympathique et réservée, amoureuse de voyages et de découverte, résumait assez bien l’idée que je me faisais de moi-même. Tout cela a petit à petit volé en éclats. Mon monde a été détruit par la vie et souvent par moi-même.
Les illusions d’un mariage parfait brisées par un divorce ; les lumières des marchés financiers devenues de bien pales ampoules encrassées de poussière d’ennui ; la joie et l’excitation des débuts avaient fait place à un profond sentiment de vide. Tout manquait de sens. Quel est ma vérité ? Qui suis-je ? La vie me montrait que je n’en avais pas la moindre idée. Ma vie ressemblait à un château d’illusions au sein duquel trônait une bien triste reine, cachant sa souffrance derrière le masque du « ça va. ». La vérité n’est pas toujours bonne à dire, dit-on. Je crois surtout qu’elle qu’on a souvent peur de se la dire. Le monde n’est que le reflet de notre ignorance et de notre manque de conscience de nous-même. Alors quoi faire ? À quoi se raccrocher quand tout s’écroule et que le voile de l’illusion tombe sans vie à nos pieds effarés ? Se laisser engloutir par la tristesse ? Laisser la désolation envahir notre cœur ? « Pas question. » J’ai résisté. Je me suis battue. J’ai mis mon énergie dans une quête de sens et je me suis reconstruite. Sur les ruines d’une carrière en finance, j’ai rebâti une activité de coaching holistique. Aidée de mon intuition, j’ai navigué mes incertitudes, sauté dans le vide la peur au ventre, pour pouvoir enfin, après maintes péripéties, revenir dans mon île de cœur, fouler ma terre d’amour et de souffrance, la Martinique.
Une fois sur place, les conditions étaient loin d’être idéales : à l’étroit dans un petit studio sombre, sans argent, sans réseau et ne sachant pas trop quoi faire de cette nouvelle vie. Mais j’étais tout de même bien, chez moi. En dépit de l’inconfort, de la frustration, du manque d’argent et d’un sentiment lancinant d’échec, je me sentais à ma place. Je me sentais chez moi. Je ressentais au plus profond de moi cette vérité. J’avais bien fait de rentrer. Même si tout était à reconstruire et que j’avais peur de ne pas y arriver, c’était la bonne décision. Même si j’avais le sentiment d’avoir tout quitté – ma vie tenant dans douze cartons – j’étais contente d’être rentrée.
Après deux ans durant lesquels j’ai travaillé dur, affronté bien des challenges, lancé bien des projets et me suis débattu pour avancer, une autre phase s’offre à moi. Paradoxalement, j’apprends à prendre mon temps, à profiter des paysages magnifiques martiniquais, à m’arrêter pour sentir le parfum des fleurs – même si mon mental addict du travail juge clairement cela d’un mauvais œil. « On n’est pas rentré en Martinique bailler aux corneilles et se tourner les pouces ! On a un business à construire et une mission de vie à accomplir. Au boulot fainéante ! » résumerait assez bien le harcèlement moral que je subis de mon mental.
Alors j’apprends à accueillir les assauts travailleurs de mon mental sans culpabiliser. Difficile. Très difficile de se déconditionner de l’esclavage mental du travail dur. « Il faut travailler dur pour gagner sa vie et mériter son pain. » Hum… est-ce vrai ? Ou est-ce du conditionnement ? D’où me vient ce besoin maladif de travailler dur ? D’où vient ce besoin de démontrer par le travail dur que je mérite d’obtenir les choses que je désire ? D’où vient ce besoin de prouver que j’en suis digne et que j’ai de ce fait de la valeur ? D’où vient ce besoin de prouver qui je suis ? Et surtout à qui ? À moi-même ? À mon père ? … Certainement. Que faire si je décide de lâcher tout cela et de vivre comme si je n’avais rien à prouver à personne, même pas à moi-même ? Qui suis-je si je laisse aller cette identité de bosseuse cherchant à prouver qui elle est ? Comment vivre quand ce pilier identitaire tombe ? Les certitudes font place à l’inconnu, les objectifs au néant, et l’action à l’inaction. Alors je me laisse flotter comme un bois mort sur une mer incertaine, ne sachant pas trop sur quels rivages je vais atterrir. Très difficile pour mon mental habitué aux objectifs et aux challenges. Difficile de ne rien faire et de ne pas se bouger les fesses.
J’apprends à me défaire de cette culpabilité de ne pas faire. Je me laisse aller. Je profite de cette vie et de ses petits moments magiques. J’écris. Je médite. Je lis. Je regarde la brise jouer avec les fleurs. Je me perds dans un regard amoureux. Je vais à la plage. Je cuisine. Et je m’apaise intérieurement petit à petit. J’apprends à accueillir le manque d’argent avec confiance, à guérir cette anxiété et cette agitation intérieures qui m’habitent depuis si longtemps. Je m’ouvre à d’autres aspects de moi-même. Je me nourris de choses simples et j’apprécie de nouveau ces petites choses qui font le quotidien. Tout va au ralenti ; et bizarrement, je commence à apprécier cela. Je continue bien mes consultations mais sans chercher de nouveaux clients, sans forcer. Plus de stratégie de marketing pour le moment ! Je laisse émerger qui je suis dans la simplicité de la vie. Je laisse le vide se faire pour qu’un renouveau émerge. Je dois avouer que je suis tous les jours tentée de remplir mes journées de choses, de repartir dans mes habitudes de faire et de brasser de l’air pour me donner le sentiment du devoir accompli. Mais j’ai la chance d’avoir une oreille bienveillante avec qui je peux partager mes doutes et qui m’aide à accueillir ces moments de « vide ».
Alors pour le moment, je me laisse flotter, portée par la vie. Qui sait où j’atterrirai ? Combien de temps cela va-t-il durer ? Je ne le sais pas. Mais cela fait partie de la magie de la vie. Mourir à soi pour pouvoir renaître sur une autre terre. Il est des chemins qu’on ne découvre qu’en terre inconnue.
Ce texte est extrait de mon livre « Pensées intimes et vagabondes« .
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