Pour la petite histoire …
Hello !
J’espère que tu vas bien !
Je suis en train de suivre un cours d’écriture de Bernard Werber. Un des exercices consiste à écrire une histoire en se basant sur des cartes de tarot. Il fallait tirer au hasard une carte pour définir le héro, l’aventure, l’aide que recevrait le héros, les obstacles qu’il rencontrerait, ainsi que l’aboutissement de l’histoire. Voici mon tirage :
Le héros : le pendu
L’aventure : le monde
L’aide : le jugement
Les obstacles : l’amoureux
L’aboutissement : la maison Dieu
Voici l’histoire. Elle s’intitule « Les flammes du destin ». J’espère que tu l’aimeras. N’hésite pas à me dire ce que tu en auras pensé.
Les flammes du destin
Au lendemain du 8 mai 1902, alors que Raphaël écoutait abasourdi la radio relatant la destruction complète de la ville de Saint-Pierre par l’éruption de la montagne pelée en Martinique, une chose extraordinaire se passa. L’espace d’un instant son monde s’arrêta. Le temps se figea. Un profond sentiment d’impuissance s’empara de lui. C’était comme si la vie l’avait attaché et suspendu par les pieds pour lui faire prendre conscience que sa vie était à l’envers. N’ayant jamais osé avouer à sa famille ses véritables aspirations, il avait accumulé les mensonges pour pouvoir demeurer à Paris. Il était déchiré entre l’envie de rester en France et la nécessité de retourner vivre à la Martinique, son pays d’origine. Deux vies opposées s’offraient à lui : explorer sa passion pour la restauration des livres anciens en France, ou rentrer en Martinique reprendre l’exploitation agricole familiale. Cela faisait déjà plusieurs années qu’il était tourmenté par ce choix, écartelé entre l’appel de son cœur et sa loyauté filiale.
Mais voilà que la destruction de Saint-Pierre remettait tout en question et précipitait la prise d’une décision ferme. L’usine familiale ayant été partiellement détruite, il lui faudrait rentrer d’urgence pour soutenir sa famille. Il avait le sentiment qu’un piège, bien trop savamment élaboré, se refermait petit à petit sur lui. Une fois là-bas, il lui serait extrêmement difficile de repartir. Son cœur se déchirait. Torturé, il décida d’aller se promener dans la forêt pour réfléchir. Alors qu’il marchait les yeux hagards, partagé entre le besoin de fuir sa souffrance intérieure et l’envie de crier sa rage et sa colère face à ce monde qui le mettait injustement au pied du mur, il se prit les pieds dans une racine proéminente, fit un vol plané, et s’écrasa lourdement au sol. L’atterrissage fut tellement rude qu’il s’en déboita une épaule. Il émit alors un son rauque de douleur et de rage. N’avait-il pas déjà suffisamment de problèmes ? Pourquoi la vie s’acharnait-elle ainsi contre lui ? Il se releva péniblement, et marcha jusqu’à un arbre contre lequel il s’assit. La main tenant son épaule endolorie, il tenta de reprendre son souffle. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues. D’un ruissèlement maladroitement contenu, elles se transformèrent bientôt en un torrent de lave rageuse. Il fulminait, l’instant d’après agonisait. Pendant plus d’une heure, il déversa tout son fiel de douleur sur le sol, seul dans cette forêt avec pour unique présence l’écho lointain de ses pleurs. Las de son propre désespoir, il finit par s’endormir.
C’est alors qu’un ange de lumière lui apparut en rêve :
– Lève-toi, Raphaël. Il est temps. La nuit suit le jour, et le jour suit la nuit. Ainsi est le cycle de la vie. Tu n’y échappe pas. Lève-toi et marche jusqu’à la chapelle Saint- Félix. Ton trésor t’y attendra.
Raphaël rouvrit les yeux doucement. Le vent faisait chanter les feuilles des arbres ; et le soleil caressait de ses rayons les fleurs colorant le sol. Tout lui semblait beau, paisible. Une sérénité l’avait soudainement envahi. La douleur de son épaule avait presque disparu. Il ne savait toujours pas quelle direction donner à sa vie, mais cela n’avait guère d’importance à ce moment précis. Un léger sourire lui dessinant les lèvres, il profita encore quelques minutes de cet instant idyllique. Le temps venu, il partirait à la recherche de cette chapelle Saint-Félix.
Le lendemain, il se rendit à l’église la plus proche de chez lui pour chercher des informations sur cette mystérieuse chapelle, mais en ressortit hélas bredouille. Personne n’en avait entendu parler. Alors qu’il marchait dans la rue, une moue de déception lui déformant les lèvres, son attention fut attirée par un kiosque à journaux. Il s’y arrêta et balaya du regard les magazines exposés. Il saisit alors le quotidien de la ville qu’il commença à feuilleter machinalement en dépit de l’œil désapprobateur du vendeur. A la onzième page, était fait mention d’un fait divers macabre : une petite fille avait été retrouvée morte non loin de la chapelle Saint-Félix dans la commune d’Embres-et-Castelmaure de l’Aude. Un éclair lui parcourut tout le corps à la lecture de l’article. Ses poils se redressèrent violemment. Il avait sa réponse. Il acheta le journal par politesse et se hâta de rentrer chez lui. La porte d’entrée passée, il s’empressa de jeter son sac sur la table du salon et en sortit le journal. Il relut plusieurs fois l’article comme pour se persuader qu’il ne faisait pas erreur. S’agissait-il de la bonne chapelle ? N’était-ce pas une lubie pour éviter d’avoir à faire face à son dilemme existentiel ? Il s’assit sur son canapé et poussa un soupir de lassitude. Même s’il ne se trompait pas, il était à Paris et ladite chapelle, dans l’Aude. Était-ce bien le moment de partir en expédition dans le sud de la France ? Il n’en avait d’ailleurs pas les moyens. Le peu d’argent qu’il lui restait devait servir à aider sa famille en Martinique. Les dépenser pour un voyage inspiré par un rêve, à bien y réfléchir, lui semblait de plus en plus de la pure folie. Il referma sèchement le journal et le balança à la poubelle. La messe était dite.
Plus tard, avant d’aller se coucher, il observa une dernière fois le journal gisant dans les ordures, avant de clôturer définitivement ce chapitre de sa vie en refermant la poubelle. La nuit et les deux suivantes furent agitées, tourmenté qu’il était par des visions de personnes mourant incendiées dans leur maison. Il attribua ses cauchemars au choc de la catastrophe de Saint-Pierre où des milliers de personnes avaient péri brulées vives.
Deux jours après, il croisa dans les escaliers de son immeuble un de ses voisins qu’il estimait beaucoup, Antoine. Après une courte et chaleureuse discussion, ce dernier lui conta qu’il avait hâte d’être au lendemain car il partait voir son grand-père dans le sud de la France, plus précisément dans l’Aude. Le sang de Raphaël ne fit qu’un tour. La vie semblait lui tendre une perche qu’il ne se sentait pas prêt à prendre. Trop de peurs et d’incertitudes. Il n’osa pas demander à Antoine si c’était possible qu’il l’accompagnât, et le laissa s’éloigner sans mot dire. De toutes façons, se rendre à cette chapelle n’avait pas de sens. Rien ne pouvait selon lui, logiquement, justifier une telle décision.
Trois jours plus tard, en pleine nuit, Raphaël mourait accidentellement dans l’incendie de son appartement. Eut-il choisi de voyager jusqu’à l’Aude, il ne se serait pas trouvé chez lui lors du feu, et il aurait surtout découvert son trésor le plus précieux : le courage d’oser suivre son cœur et d’être lui-même dans le monde. Parfois, ce n’est pas tant la destination qui compte, mais la personne que l’on devient en l’atteignant.
© Peggy Ebring – Tous droits réservés
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